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lundi 16 novembre 2009

Effondrements

Le jour où le mur est tombé, Veronika annonça à Luc qu’elle allait mourir: Je vais partir, lui dit-elle. Tu vas quitter Berlin? voulut savoir Luc, mais pour aller où? Mourir, si tu préfères, précisa Veronika, une pointe d’agacement dans la voix.
Elle ne le regardait pas mais fixait un point invisible au-delà des murs du salon; pétrifié, Luc dévisagea sa femme qui s’était tue. A la place des mots, il entendit le silence comme jamais il ne l’avait entendu, un silence d’un blanc opaque, traversé par un très léger sifflement aigu, comme le gaz qui s’échappe et dont on prend conscience juste avant de s’évanouir.

Une pierre de moins

Un mur est tombé. Une ouverture, une brèche. Il laisse passer ce qui ne devait pas s’épancher. Et la force de ce qu’il contenait agrandit la blessure et rend le retour à la fermeture impossible.
Elle pose doucement sa tête sur l’oreiller, se recroqueville en boule, il fait froid, c’est tout. Ne ressentir que le froid et pas ce qui sourd et détruit à l’intérieur. Surtout ne pas se réchauffer, surtout ne pas se laisser aller à un confort qui pourrait colmater la douleur.

1983-2009, une Française à Berlin

Le jour où le mur est tombé, j'étais en train d'allaiter mon deuxième fils, né fin août, dans l'arrondissement de Wedding à Berlin-ouest, quand, peu avant minuit, le téléphone a sonné. Pourtant pour comprendre ce que nous faisions là, il faut revenir quelques années en arrière.
Flashback: j'étais arrivée à Berlin-ouest en 1980 dans le cadre d'un échange qui devait durer trois ans. Je ne connaissais alors que la partie orientale de la ville, car j'avais une correspondante depuis l'âge de douze ans environ qui vivait dans le Brandenbourg et avait étudié dans la capitale de la RDA. Je lui ai donc rendu plus facilement visite ces trois premières années puisque j'habitais à deux pas si je puis dire. Contrairement à ce qu'on a pu penser, il était relativement facile de se rendre en RDA. Cependant à partir de septembre 1983, j'ai travaillé, en tant qu'enseignante, dans l'une des écoles des forces d'occupation, c'est à dire auprès du Gouvernement Militaire Français de Berlin. Il m'a donc été interdit de me rendre en RDA, par contre nous pouvions nous déplacer très facilement à Berlin-est sous certaines conditions, mais jamais seul. Durant cette période aussi, j'ai pu régulièrement et secrètement rencontrer mes amis à l'est.

Levée d'écrou

Le jour où le mur est tombé, il venait de passer sa mille quatre-vingt-quinzième nuit en prison, au centre de détention d’Ecrouves, Meurthe-et-Moselle. Lorsqu’on l’avait transféré dans ce qui, au vu de la peine qu’il avait à purger, serait à sa sortie la demeure où il aurait passé plus de la moitié de sa vie, il n’avait pu, malgré la dureté de son sort, s’empêcher de sourire: Ecrouves évoquait fatalement écrou et écrouer, à une lettre près, ce «v» qui faisait penser à violence et à vie.
Il avait accueilli la nouvelle de la chute du mur avec une sincère indifférence. Les clameurs unanimes qui saluaient l’événement ne le concernaient plus. Il n’était plus de ce monde. La liberté dont on chantait le triomphe ne le regardait pas. Et il avait les plus grandes peines du monde à s’imaginer, comme on le répétait à l’envi, qu’en effet, de l’autre côté de la muraille, des gens ressentaient par millions ce qui lui était interdit. Cependant, la nuit qui suivit, il eut beaucoup de mal à trouver le sommeil. Il se retournait sur sa couche, en s’efforçant de ne pas éveiller son compagnon de cellule, Samy, un grand noir avec qui il avait sinon sympathisé, du moins trouvé un équilibre territorial, et donc relationnel; mais un équilibre fragile qui, il le savait, pouvait se rompre à tout moment, pour peu que Samy soit dérangé dans son sommeil ou dans son repas, moments sacrés, moments d’oubli, moments où le prisonnier peut espérer recouvrer l’infini de sa liberté.

Les chaussures de Pavel

Ou

Nous qui ne sommes pas Sarkozy, nous n’y étions pas

Le jour où le Mur est tombé, la seule chose vraiment notable dans ma vie, c’est que Pavel a laissé chez moi ses chaussures.
Pavel était tchécoslovaque, avait une vingtaine d’années, venait de passer quelques mois en France pour travailler sur son doctorat de philologie romane, n’avait pas obtenu le renouvellement de sa bourse ni de son visa. Je l’hébergeais quelques jours, mais il ne voulait pas abuser de la situation et avait décidé d’aller tenter sa chance en Espagne.

Le jour où le mur est tombé

Le jour où le mur est tombé, j’étais journaliste à Libé. Ma vie avait basculé quelques mois auparavant et j'allais partir pour l'Allemagne en janvier.
Le jour où le mur est tombé, en effet, j'allais rendre visite à ma mère à l’hôpital HG. Le journal était en grève, l'occasion de donner la priorité à la vie de famille. Ma mère, le centre de notre vie familiale, le pilier de notre famille multiculturelle qui avait su jeter un pont d'amour et de respect entre l’Europe et l’Afrique. Ma mère s'était écroulée par un matin de mai comme les autres. Terrassée par un AVC, elle ne s'était pas rendue à son travail. Poussée par un quelconque pressentiment, j'avais essayé d'appeler. Lasse d'entendre sonner dans le vide, j'avais composé le numéro de son collège... le collège avait envoyé les pompiers… on a retrouvé ma mère couchée, hémiplégique. L'Accident Vasculaire Cérébral avait eu raison de sa jeunesse et de son énergie. Voilà donc pourquoi j'étais simplement en province, loin des préoccupations du journal...
Le jour où le mur est tombé, certes, on sentait que l’Est allait bouger… mais quand. Helmut Kohl n’était même pas en Allemagne. Pourtant… certains diplomates avaient senti que le monde allait changer. Mes collègues, correspondants du journal à Berlin suivaient les événements désespérément. Ils étaient le témoin de l'événement majeur depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, et ils savaient que leur journal était en grève! Libé serait donc le seul journal français à ne pas couvrir l’événement !!! Pas de une sur le Mur de Berlin !!!
Le jour où le mur est tombé, dans la chambre de l’hôpital, la télé de la voisine est allumée et diffuse les images incroyables de la foule berlinoise. L’émotion nous serre la gorge et nous gardons les yeux rivés sur le poste de télévision. Nous parlons peu, mais l'émotion de maman est vive. Je suis touchée de la voir vibrer à l'unisson de ce monde qui se sent berlinois alors qu'elle n'a pas encore retrouvé l'usage de son côté gauche et que pour tous les gestes de sa vie, elle dépend de quelqu'un. A ce moment là, je ne pense plus à la grève et aux conséquences qu’elle aura sur la parution du journal. Je regrette de ne pas être à Berlin, déjà, pour partager ce moment unique.
Le jour où le mur est tombé j’ai pensé que décidément, 1989 était une grande année. Déjà, le bicentenaire de la révolution française avait donné place à des commémorations exceptionnelles. Puis, on avait parlé de laïcité à l’école avec la première affaire du voile coranique, l'occasion de reparler de liberté. Maintenant, le mur... une liberté d’une toute autre importance !
Le jour où le mur est tombé, Rostropovitch a rendu grâce par un concert inoubliable. Violoncelle. L'instrument le plus proche de la voix humaine pour vibrer au son de l'émotion de la capitale du monde pour un soir et les journalistes de libération s’arrachaient les cheveux, partagés entre la joie d'être là et nulle part ailleurs, et la déception de ne pas pouvoir exercer leurs métiers.
Le jour où le mur est tombé, j’ai découvert que rien n’était immuable et que tout était possible. J’ai redécouvert l’espoir. J’ai appris qu’il faudrait désormais penser le monde autrement. L'Allemagne reconstruite, l'Europe aurait aussi un autre visage. Je n'ai pas pensé que l'Allemagne retrouvée allait entraîner l'éclatement de nombreux pays autour…
FAA

Le bouleversement du monde vu du canapé

Siham venait de rentrer du lycée après une heure de trajet. Pour préparer un rude après-midi de travail, elle s'apprêtait à prendre son repas devant la télévision, comme l'adolescente consciencieuse qu'elle était. La fatigue de la rentrée commençait à l'assaillir, nouvelle classe, "profs" exigeants, amitiés dévorantes, cœur sec.
Elle avait entendu les nouvelles de la chute du mur de Berlin, qu'elle suivait de loin - pas encore au programme, la guerre froide! Elle se piquait en outre d'être germanophobe primaire, ce qui était d'autant plus ridicule qu'une partie de sa famille installée en Allemagne y vivait une époque heureuse.

Le jour où le mur tomba

Ou précisons plutôt: la nuit où le mur tomba, je dormais. Je dormais car ma grossesse avancée me faisant roupiller comme une marmotte, j'étais allée me coucher relativement de bonne heure. J'avais laissé Norbert, mon compagnon, et notre copain Klaus, un ami allemand vivant à Paris, qui était de passage chez nous à Berlin, à leur conversation nocturne dans notre petite cuisine.
Je dormais lorsque la sonnerie prolongée du téléphone me tira de mon sommeil.
«Hallo Odile! Hier ist Harald! Ich bin im «Kuckucksei»!
- Was? Wieso im Kuckucksei?
- Wie, weißt du das gar nicht???? Die Mauer ist gefallen!!!»

J'avais du mal à réaliser ce que je venais d'entendre. Harald, un ami photographe de longue date, résidant à Berlin-Est, dans un café à Berlin-Ouest? Qu'est-ce que c'était que cette histoire...? Je lui répondis que j'allais voir, que je ne savais pas où était Norbert... et je raccrochai.