Attention, droits réservés

Creative Commons License
Les textes des Ateliers Ecritures Colombines mis à disposition sur ce blog par Nadine Fontaine sont régis par les termes de la licence Creative Commons. Leur citation n'est permise qu'assortie du lien indiquant leur origine et ne peut donner lieu à usage commercial sans accord avec les auteurs.

mardi 26 décembre 2023

Une annonce

Cette photo prise par Elliott Erwitt me bouleverse. 
Plus exactement, le texte que je lis, m’agresse, 

«J’achète Les croutes DE PAIN» 

Mais je ne veux pas subir ce tremblement de terre. 
Je recule. 
Je m'efforce d’analyser cette photo, de mettre en sourdine mes émotions. 
Je suis devant un objet esthétique. 


Sur un fond très sombre, sur un cadre en bois noir, comme une annonce écrite à la main, sur une ardoise, le texte que j'ai indiqué, centré sur cinq lignes. Je relis à voix basse, lentement, j’en respecte la typographie 

J'achète 
Les 
Croutes 
DE 
 PAIN 

Et pan, toi qui visites les musées, qui apprécies les créations artistiques, que réponds-tu à cela? 

Rien, je ne dis rien. Cela remue dans mon estomac qui se gonfle tandis que mes yeux embrassent l'ensemble de l’image. 

Sous ce texte, un panier en osier de couleur sombre. Se détache en contraste, plus clair, une sorte de passoire plate en aluminium. Des morceaux de pain rassis, un bout de bois. Tout est criant de réalisme. 

J’admire le talent de l’artiste. 

Mais ce qui remue en moi déferle dans la vision de tous ces mendiants que j'ai pu croiser tout au long de ma vie. A certains, je glisse quelques pièces, à d'autres, je détourne la tête. Quelle que soit l'attitude, elle relève du même sentiment de honte et d'impuissance: «Désolée, je suis vraiment désolée, je ne peux rien faire de plus». Devant cette photo, ce qui surgit, c'est l'injustice du monde, ce cri accusateur: «J'achète les croûtes de pain.». Et pourquoi dois-je m’en contenter, en dormant sur le bord d'un trottoir sale, tandis que d'autres baignent dans l'opulence? 

Un souvenir de ma première enfance arrive, comme pour me permettre de sortir de la suffocation présente, insoutenable. Au coin d'une rue trépidante, j'ai glissé dans la paume d'un mendiant loqueteux toutes les pièces que je possédais, tout mon trésor. 
Ma mère a surgi à ce moment et m'a réprimandée aussitôt: 
- Et que feras-tu si un autre mendiant te tend la main? 

Ma mère m’a ramenée à la réalité du monde. Je ne dois pas me sentir responsable de ses miséreux. Je les ai rencontrés partout, dans les pays regroupés alors sous le terme de «Tiers-Monde», dans les pays dits riches. Les associations se démènent pour soulager selon leurs moyens, mais ils sont toujours là. J'ai même l'impression que la situation s'est aggravée. 
Ce jour-là, ma mère a tenu avec fermeté ma main et nous avons continué notre route. 

Myosotis

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vous avez aimé ce texte ?
Dites-le !