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mardi 30 juin 2009

Désert - par Christophe

I

Je suis les oreilles au cœur du silence, le silence du désert et me laisse remplir de silence et quand je suis plein je lâche mon cri, je hurle à la vie, à la mort dans un immense sentiment de liberté, comme une hyène dans la nuit. Je suis renaissant à l’intersection du ciel et de la terre, un point dans l’immensité. Je me déplace, je marche vers l’ouest, le soleil dans les yeux, marcher vers l’ouest, regarder le soleil se coucher sur le désert, comme un coucher sur la mer, désert, mer, le désert m’évoque la mer, avec ses dunes comme des vagues, fluides et mobiles. La faim, présente toujours, je mange pour conjurer mes peurs, j’avale datte après datte, les doigts, la bouche me collent, le goût sirupeux exaspère encore mon appétit. Je chemine à côté de ma bête de somme, son calme me calme, notre rythme synchrone nous unit, son odeur animale me rassure dans cet univers si beau et si hostile à la fois. Mon visage tire, c’est bien mon corps, l’air chaud est suffoquant, le sable s’immisce dans tous les interstices, oublier mon corps, sortir de moi, avancer.


II

Ce qui me fascinait après la pluie, c’était de voir la terre se fendre un plus chaque jour. Là où l’eau demeurait plus longtemps au point de ramollir le sol, le passage quotidien des animaux finissait par carrosser des bosses. Le sentier progressivement devenait une tôle ondulée et nous sautillions de bosses en bosses sur nos jambes frêles dans les pas de nos bêtes, de plus en plus étiques au fur et à mesure que la saison sèche durait, la nourriture plus rare et plus lointaine. La journée était chaude autour des maigres buissons nous tournions avec le soleil et nos animaux faisaient de même. Le temps était long, l’ennui notre compagnon le plus fidèle, parfois il nous arrivait de nous assoupir. Réveillés en sursaut il fallait souvent se hâter de rassembler le troupeau. Nous courions dans tous les sens et appelions nos bêtes en langue Touarègue car elles n’entendaient rien d’autres. Parfois il fallait brandir nos bâtons et souvent le geste suffisait. Le troupeau rassemblé se mettait à paître le rotha. Nous pouvions alors enlever nos sabats et en extraire les graines de sadan, quand nos pieds n’étaient pas plantés d’échardes. Nous n’avions qu’un seul mangueh et l’un de nous, le plus habile, prodiguait les soins aux autres. La journée avançait sous le soleil ardent et nous attendions qu’il décline à l’horizon pour amorcer le retour. A cette heure les dromadaires agenouillés attendaient impassibles que l’on charge nos mezoued soulagés de l’eau et de la nourriture de la journée. Les gazelles du désert commençaient à se hasarder sentant notre départ proche. Pour rentrer nous avions une heure de marche à travers le reg, en chemin les bêtes se rafraîchiraient à un onglat temporaire. Par leur empressement collectif soudain, nous savions que nous en approchions. C’était notre borne à mi-chemin du retour. Les animaux buvaient, nous nous partagions nos derniers treng et nous repartions fatigués malgré la légèreté et l’insouciance de notre âge.


III

Un puits, un trou noir dans la chaleur de l’été exhalant une fraîcheur perceptible. Des femmes s’affairent autour. Elles arrivent la démarche traînante, assurée et économe de celles qui portent souvent et longtemps, enfants sur le dos, charge sur la tête. Le puits est le nœud de relation par où transitent les baquets et jerricanes, distribuant l’eau et les nouvelles alentour portées par un vecteur souvent féminin et jeune, une vie âpre ou les nouvelles et la nourriture cheminent ensemble tant la vie est occupée aux tâches domestiques.
Et je suis là, moi Barnabé, ici à Saint-Louis, limite sud du Sahel sur les bords du fleuve Sénégal. Nous nous déplaçons de villages en villages pour recenser les enfants et fournir des soins. L’équipe est composée d’une infirmière, d’un infirmier, d’un médecin d’un chauffeur et puis il y a moi. Quel désir d’Afrique, quel désir tout court m’a poussé à faire ce voyage, à poser mes pieds sur une terre si lointaine en tout sans même avoir prévu mon premier bivouac. Ce sera à l’hôtel place de la République, je n’ose pas descendre chez l’habitant, pourquoi, qui m’offre pourtant de me loger.
Le toyota aux couleurs de l’ONG nous transporte à travers la brousse d’un village à l’autre, la campagne de vaccination dure depuis une semaine. A chaque fois le même rituel à notre arrivée dans le village: rendre hommage au griot, usages, coutumes et contributions pour un accord tacite, puis nous nous installons sous les acacias. Les enfants passent entre les mains de l’infirmier. Moi je note prénom, nom de la mère, poids, taille. Les femmes rient de voir ce blanc qui tient le bic, et écorchent au passage mon prénom qui perd son R dans un A qui s’attarde.
C’est le dernier jour, demain nous rentrerons à la base, après-demain je rentre à Paris. Mes fiches auront alimenté la base de données. Les fichiers compressés auront pris l’autoroute de l’information, Ils transiteront par des nœuds de communication numériques et le flux des chiffres et des lettres alimentera la nappe numérique des données épidémiologiques. L’analyse statistique triera, classera, ordonnera, comparera. Les hypothèses seront testées et l’analyse des données exprimera dans une synthèse limpide la transformation du travail des femmes en variables explicatives de santé sanitaire, tendances centrales et coefficients de dispersion.
Quand l’eau se fait rare, les puits de données numériques s’emplissent, indéfiniment extensibles comme le tonneau des Danaïdes. Là où le péril croît, croît aussi ce qui sauve dit-on, j’aime à le croire également!

Fin de vacances, retour à Paris. Août 1997.


IV

Avant le commencement, le rêve

Lumière divine, voix céleste, vibration,
Ondulation de la matière
Tout n’était que beauté pure et informe
Energie potentielle, attendant l’étincelle
Et la vie soudain dans une gerbe de lumière
Jaillie de son trou noir, inondant l’univers
Insatiable, ordonnatrice,
Bâtisseuse, conquérante,
Occupante, destructrice
Son goût âpre comme la vie
Sucré comme l’amour
Devient suave comme la mort
Quand l’atome en son nom
Vitrifie d’un éclair la faune et la flore
Perturbant à jamais le cycle naturel
De la vie renaissante aux rythmes biologiques
Sèves des branches, vie tirée ou poussée vers en haut, attirée vers en bas
Exubérant printemps, explosion des couleurs, inondation de semence
Gestation l’été, délivrance l’automne, repos l’hiver
Ô jardins d’Eden, terres promises ou paradis perdus? rêves ou cauchemar?
Terre qui s’épuise, eau s’acidifiant, monstres à cinq pattes, corps inachevés
Prisonniers de ta sphère d’où rien ne s’échappe,
Ni se perd, éléments en perpétuelle transformation
De plus loin nous voyons, de plus loin nous écoutons,
De plus haut nous observons,
Nos rivières s’assèchent nos disques durs se remplissent,
Les flux numériques inondent la planète,
L’atmosphère se dégonfle pendant que la Websphère s’enfle par transfert car la nature est ainsi et du vide ne sait que faire.
Paradis oniriques, paradis numériques, après la fin le rêve.


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