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mardi 30 juin 2009

Désert - par Marie-Pierre

I
Les sens
Odorat
Depuis deux jours la caravane avançait lentement, plus difficilement encore depuis qu'elle avait quitté le dernier puits la veille.
Les dromadaires chargés de sel souffraient sous le poids des sacs de plus en plus lourds à chaque voyage. Les hommes avaient beau les tirer et les fouetter rien n'y faisait.
La cohabitation avec les bêtes devenait pénible: les animaux transpiraient, suaient, bavaient et leur odeur âcre et forte dégoutaient à présent les hommes.
Vue
Rien, je ne vois rien, vers où avancer? Ce brouillard est si pénétrant que je vais m'éloigner de la piste! Ah ! La piste! Où est-elle à présent? Dieu seul le sait! J'espérais rejoindre le camp ce soir... impossible je n'y vois qu'à deux mètres, comment me repérer? Déjà une demi-heure que je ne sais plus si je suis sur le tracé d'une quelconque piste dans ce désert de glace.

Toucher
Continuer, ne pas m'arrêter sinon je suis perdue. Déjà je ne sens plus mes orteils, le froid est si mordant! La température a encore dû chuter à moins que ce ne soit le vent qui donne cette sensation. Continuer, impossible de faire un feu pour réchauffer mes membres engourdis, je dois gagner coûte que coûte le camp avant d'y laisser ma peau.
Ouïe
Je me réveille en sursaut! Tout est calme autour de moi, rien ne bouge, pourtant ! Ce bruit qui m'a sorti de mon sommeil … la sonnerie du téléphone, le cliquetis des doigts courant sur un clavier d'ordinateur, un cri d'enfant, une bouilloire qui siffle! Un cauchemar sans doute!
Ici tout est silence, repos, plénitude, quiétude...

II
Je me lève péniblement après une courte sieste, j'enfile mes baskets et sors. Je m'engage comme tant d'autres anonymes vers une bouche de métro et ne croise que des regards fuyants durant le trajet.
Arrivé au vestiaire, j'enfile ma blouse, je retrouve Bakoulé, Amid, Assan et d'autres encore. Comme tous les jours, nous ne croisons personne, nous vidons les corbeilles de papier, nous passons l'aspirateur dans des bureaux gris et blancs, nous progressons dans cette grande tour au cœur de la capitale.
Aucun lieu ne nous a jamais paru empreint d'une telle solitude.
La capitale, la grande ville, l'occident, l'eldorado, les passeurs, les camions, la faim, les hommes entassés dans les camions, les contrôles, les pistes, le village… Oh! Mon Dieu… les étendues à perte de vue à ciel ouvert, le sable chaud et ocre, les buissons protecteurs, le puits bienfaiteur, le troupeau nourricier, la femme présente, les fils souriants, les galettes de mil grillées, les voisins bruyants, la prière communautaire, les cousins envahissants, les fêtes colorées…
Pourquoi suis-je parti?
29 mai 2009

III
Soliman
Soliman règne en maître sur son empire. Aux confins de la Méditerranée, son territoire s'étend sur de vastes plateaux, et comprend des montagnes désertiques et des lacs salés, sa terre est bordée d'eau de mer à cheval sur l'Asie et l'Europe. Craint par son peuple, maintenant sous son joug des villages perses, redouté par ses voisins européens dont il a conquis plusieurs leur pays, il est tout-puissant. Les marchés, les caravansérails, l'artisanat, les soies brodées, les épices les plus rares contribuent à la richesse et au raffinement de sa capitale. Législateur, entreprenant, homme raffiné, il est Soliman le Magnifique et l'Empire Ottoman domine le monde!
Surplombant la Corne d'Or, son palais rivalise avec les plus beaux palais d'Europe. Vaste, richement décoré, son harem est la plus grande cour jamais installée pour un sultan. Les jardins intérieurs succèdent aux chambres et aux salons d'agrément. Les murs recouverts de carreaux de faïence bleus apportent la fraîcheur aux pièces écrasées par la chaleur de l'été et les voilures de soie protègent l'entrée des chambres de l'accablante lumière du soleil. Les plus belles femmes vivent là, venant de toutes les provinces de l'empire, de tout le pourtour méditerranéen, de toutes les contrées conquises par les armées de Soliman. Les eunuques vont et viennent à leur service, s'assurant qu'elles ne manquent de rien et distrayant leurs longues journées dans cette prison dorée. Installées dans ce lieu frais et somptueux, elles se prélassent, se rafraîchissent et attendent que leur sort se joue comme chaque soir.
Soliman les rejoint pour choisir celle qui partagera sa nuit, sa couche. Ses envies du moment, son humeur du jour, son désir de l'instant décident. Il pénètre dans la cour du harem, salue ses deux épouses mais ne s'attarde pas avec elles. L'une d'elles se raidit à son passage et étouffe un cri d'indignation, un geste rageur de la main se perd dans l'air. Sans se retourner, Soliman avance jusqu'au milieu du jardin dans un grand silence, il poursuit sa déambulation de plus en plus lentement. Son regard s'arrête soudain sur la peau diaphane d'une jeune femme assise un peu en retrait sur un coussin. Son caftan rouge brodé d'or fait ressortir sa blondeur et sa peau blanche, perle rare dans ces pays méditerranéens où les visages sont tannés par le soleil. La jeune femme sent le regard du sultan peser sur elle et détourne son visage. Les autres aussi ont compris.
Jamais Constance n'avait imaginé être retenue captive. Tout s'était si vite enchaîné: le voyage à Vienne, l'attaque soudaine de la ville par des soldats sanguinaires, le trajet à cheval d'abord puis en bateau. En sortir vivante avait été un signe du ciel tant le siège de la ville avait été violent et imprévisible mais vivre emmurée à jamais ne relevait plus du miracle! Rien ne la destinait à ce sort. Sa vie semblait toute tracée: fille d'un intendant du roi, de grande noblesse, elle était devenue dame de compagnie au service de la nièce du roi de France. Elle avait été choisie pour sa discrétion, sa vivacité d'esprit et sa beauté aussi. Alors forcément lorsqu'il avait été question d'envoyer une ambassade du roi à Vienne elle avait été retenue, ses qualités étaient appréciées par les grands du royaume.
La vie sauve, en apparence seulement. Au début le voyage en bateau lui avait laissé un peu de répit. Face aux éléments naturels, elle avait retrouvée un peu d'espoir et de dignité mais très vite elle avait intégré un lieu sordide fait de commérages, de jalousie, de journées interminables pour le seul bon plaisir d'un homme. Elle espérait, depuis deux jours qu'elle était là, ne jamais être remarquée et gardait sur elle vêtement et voile, malgré la chaleur, pour cacher sa beauté. Ses yeux clairs trahissaient ses origines européennes et les soins prodigués à son corps par les servantes mettaient davantage encore en valeur sa beauté et son intelligence. La mère du sultan l'avait remarquée dès son arrivée et ne cessait de l'observer depuis ses appartements derrière le moucharabieh qui donnait sur la cour du harem. Elle connaissait les goûts de son fils et ne doutait pas un instant de son choix.
Le sultan ne s'était pas montré depuis plusieurs jours, trop occupé par les affaires politiques mais à présent il se tient devant elle et ne la quitte plus des yeux. Le visage tourné, Constance demeure immobile. Elle attend, ne bouge pas, aucun homme n'a porté sur elle un tel regard d'envie. Il s'apprête à lui tendre la main, lorsqu'une exclamation cinglante s'élève du fond de la cour. «Soliman, ô mon sultan, tu pourrais saluer ton épouse et prendre des nouvelles de ton héritier!» Le visage déformé par la colère, elle s'avance. L'épouse légitime ne supporte plus, n'admet plus d'être prise un jour et laissée un autre, mais par dessus tout elle ne peut plus accepter qu'une autre soit choisie. Elle connaît pourtant la condition qui est la sienne mais elle revient à la charge de plus belle tétanisant toutes celles qui sont autour. Dès les premiers éclats de voix, la mère du sultan a quitté ses appartements et est descendue dans le jardin. Elle ne connaît que trop bien ce sentiment de révolte et d'ingratitude. Elle a failli y céder plus jeune mais s'est résignée, après tout son sort est plus enviable que celui des autres femmes du harem.
Tandis que la jeune épouse tourne maintenant autour du sultan, son ton se fait plus sournois «Pourquoi ne pas prendre des nouvelles des tiens? Nous n'existons plus? Qui sommes-nous pour être ainsi traités?» Puis ne se contenant plus, elle lui hurle au visage: «nous ne serions là que pour ton plaisir, c'est donc cela? Dis, parle, mais réponds» et le roue de coups; il lui faut toute sa force pour contenir la violence de sa femme. Il la maintient fermement à lui tordre les poignets et ne relâche pas sa pression tandis qu'elle se débat, puis fléchit sous sa torsion avant de tomber à genoux les bras meurtris. Il la lâche, elle crie toujours, s'agrippe à ses jambes et proteste encore. La mère du sultan se précipite d'un bond sur sa belle-fille, tente de la relever. Elle parvient à la redresser mais n'apaise pas sa hargne. Elle finit par la faire reculer, et fixe durement son fils. Elle ne le quitte pas des yeux.
Lui n'a pas parlé et reste planté au milieu de la cour, stupéfait. Face à ses soldats, les ordres seraient tombés immédiatement : sanction, exil, tête tranchée… Il les observe et intérieurement s'insurge: «Qui sont-elles pour oser me tenir tête? Ce sont mes femmes, mes épouses, ce sont les mères de mes héritiers, la survie de l'Empire! De quoi ont-elles besoin d'autre?» Les cris ont cessé mais le lourd silence qui leur fait place est rempli de reproches et la haine monte des cœurs. Trop longtemps humiliées, les femmes du harem n'ont plus besoin de faire entendre leurs doléances et c'est un murmure de résolutions qui parvient aux oreilles du sultan. Constance d'abord qui se jure de ne pas céder à un tyran de cette espèce. L'épouse qui préfère maintenant mourir plutôt que de continuer à subir les humiliations de son mari. La mère du sultan qui s'enferme dans un mutisme arrogant. Les autres femmes dont les regards se perdent dans le vague.
La tension est un peu retombée, Soliman décrispe un peu ses muscles, reprend son souffle. Il se laisse envahir par la chaleur, le bruissement de l'eau de la fontaine, le va et vient des éventails qui ont repris leur mouvement. Il ne voit soudain autour de lui que des corps fragiles, des mains frêles, des visages d'anges… tout ne semble que charme, douceur et volupté. Pivotant sur lui-même, son regard croise celui de Constance décidée à résister. Auprès de lui la nuit, ces femmes ne ressentiraient donc aucune émotion, aucun sentiment à son égard, lui qui leur donne tout de même de sa personne... Cette pensée l'accable soudain, il hésite puis quitte le jardin.
juin 2009

IV
Gloire
Avant le commencement était le rêve.
Rêve de gloire
Guerre, combat, victoire,
Bal, champagne, tourbillon, miroir
Femmes, beauté, amour, pouvoir,
Voyages, aventures, carnets,
Moi Charles, officier dans l'armée française en Algérie,
Tout n'est que gloire !
Au début des débuts, c'était dans l'air.
Un feu intérieur me consuma
mais comme le buisson ardent ne brûla pas.
Dieu au désert me parla …
Un désir de vérité, d'humanité me souleva
Une soif de plus grand, d'espérance m'emporta.
La boucherie comme les bêtes, désespoir,
La futilité des fêtes, illusoire,
L'ennui des êtres, dérisoire,
Finir par tout quitter pour être avec eux,
Vivre avec, ressentir comme, partager tout, soigner, être là.
Vivre sans gloire!
Et nous, nous les touaregs, nous saluons la mort d'un homme saint,
A côté de nous il a vécu, il a prié, il a soigné, il a protégé,
Il s'est fait l'un des nôtres sur notre terre,
Il a vécu pour son Dieu, il a aimé comme son Dieu,
Pour sa plus grande gloire!



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