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vendredi 12 avril 2019

Art et écriture - Transatlantique

Voilà trois ans qu’ils avaient quitté les Indes. Le départ avait été difficile, organisé dans le plus grand secret. Ils n’avaient rien dit à leurs proches, n’avaient pas fait leurs adieux. Les premières heures du voyage s’étaient déroulées dans un silence assourdissant. Leurs mines fermées trahissaient les pensées qui les occupaient. Avaient-ils pris la bonne décision ? N’allaient-ils pas le regretter ? Avant eux, plus d’un avaient tenté de braver les interdits de la bonne société britannique. Ça ne s’était jamais bien terminé. On ne s’enfuit pas pour l’amour d’un domestique. Et leur entreprise avait bien failli échouer lorsque le mari de Margaret les avait rattrapés à la gare, faisant irruption sur le quai. Il ne l’avait pas vue. Elle, si. Cachée derrière le rideau du train qui s’ébranlait. La distance qui s’était progressivement installée entre le wagon et le quai sur lequel il s’agitait, la cherchant frénétiquement au milieu de la foule, n’avait pas suffit à la rassurer. Elle était restée terrée dans un coin du compartiment jusqu’à Bombay, sans même profiter une dernière fois de ces couleurs de l’Inde qu’elle aimait tant. Elle était persuadée qu’Henry serait prêt à tout pour la retrouver. Il l’avait bien traquée jusqu’en Inde. Un voyage de plus ne l’effraierait pas. Elle le savait suffisamment fou pour faire de sa recherche sa priorité maladive. 
A Bombay, ils logèrent dans un petit hôtel excentré. Ce n’est qu’une fois sur le bateau, les côtes de l’Inde loin derrière eux, que Margaret se mit enfin à croire en un avenir meilleur. John avait été présent à ses côtés depuis le départ. Attentif et attentionné. Elle n’avait pas été de très bonne compagnie. Elle s’en excusa et lui dit sa gratitude. - Merci d’avoir rendu ce voyage possible, lui murmura-t-elle un soir, après une journée de tempête. Pourtant, continua-t-elle, je n’arrive pas à me défaire d’un mauvais pressentiment. 
- Lequel ? demanda-t-il. - Je ne sais pas vraiment, dit-elle. L’impression forte que notre voyage va mal se terminer. 
Il la serra contre lui et l’embrassa pour la rassurer. 
Ils avaient décidé de s’installer en France. A Paris. Ils n’y connaissaient personne et ce serait donc l’endroit idéal pour repartir à zéro. Elle avait emporté suffisamment d’argent pour que leur vie soit confortable. Ils habitaient à l’étage d’un petit hôtel particulier et s’étaient rapidement fait un cercle de relations intéressantes. Lucie vit le jour quelques mois après leur arrivée. Elle grandissait bien et commençait à parler un français correct pour une petite fille de près de deux ans. C’est alors que tout fut à refaire. L’ambassadeur des Indes annonçait une visite officielle à Paris. Et leurs connaissances avaient organisé un dîner pour l’occasion. 
- John, Margaret, il faut absolument que vous veniez ! Rendez-vous compte, l’Ambassadeur des Indes ! Vous aurez beaucoup de choses à vous dire ! 
Margaret connaissait bien l’Ambassadeur. Henry travaillait à ses côtés au sein des services diplomatiques. Il était bien entendu hors de question qu’elle le croise. Se cacher quelques jours n’aurait fait qu’attirer les curiosités. Alors ils décidèrent de disparaître à nouveau. Il fallait partir plus loin s’ils voulaient être tranquilles pour de bon. Les Etats-Unis. Un nouveau pays pour une nouvelle vie. 
Ils avaient organisé un départ en péniche jusqu’au Havre. De là, ils prendraient un bateau pour Southampton, en Angleterre, où ils embarqueraient sur un paquebot. L’Europe et l’Inde seraient loin. John était persuadé que plus jamais ils n’auraient à fuir. La péniche devait quitter Paris à dix heures. Ils avaient pris place de bon matin sur le pont arrière. Margaret terminait de donner son petit déjeuner à Lucie. Un bol de lait accompagné d’un peu de pain frais, trempé dans le jaune d’un œuf au plat. Elle en raffolait. John, debout à côté d’elles, observait les bateleurs sur les péniches accostées derrière eux. 
- Pourquoi n’est-on pas encore parti ? demanda Margaret lorsque l’attente commença à lui paraître longue. 
- Je ne sais pas, répondit John. Ne t’inquiète pas, ça ne devrait plus tarder. 
Après son petit déjeuner, Lucie s’était endormie sur les genoux de sa mère. Lorsqu’onze heures sonnèrent aux cloches de Notre-Dame, Margaret se tourna vers John : 
- Une heure de retard, c’est de très mauvais augure pour la suite de notre voyage. 
- Ne t’en fais pas ma chérie. Nous avons deux jours à Southampton. Et j’ai trouvé des places sur Le Titanic, un nouveau transatlantique. On dit que c’est le plus sûr du monde. Bientôt, nous verrons la fameuse Statue de la Liberté. Tout ira bien, tu verras.

texte rédigé dans le cadre du stage Art et écriture organisé à Colombes en mars 2019

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