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mardi 30 juin 2009

Désert - par Anne

On lisait sur la plaque: «villa Les Flamboyants». La maison où elle avait vécu tant d’années avec Maurice, son défunt mari, en haut de la colline après le grand virage, à la croisée des quatre chemins. Ce bruit des alizés dans les cannes appartenant à l’habitation Murat…
Agatha savait déjà qu’elle ne la quitterait jamais, cette demeure où ils s’étaient installés à leur arrivée sur l’île lorsque Maurice avait été nommé responsable des escales à la compagnie transatlantique à Zanzibar.
Chaque recoin, chaque objet, chaque meuble lui rappelait le déroulement de leur vie… Elle connaissait par cœur les bruits qui allaient égrener tous les moments de la journée… Mais ce qu’elle préférait, c’était le silence.

Agatha d’origine anglaise ne faillait jamais à la traditionnelle «cup of tea» vers dix sept heures… La chaleur baissait tout juste. Mais elle appréciait le goût brûlant du thé… Inlassablement, vers cette heure, elle était assise dans son fauteuil en rotin sur la galerie, un livre ouvert à la main.
Soudain, au loin, elle entendit le vrombissement d’une voiture roulant à vive allure. Elle se dit qu’elle n’avait jamais entendu de tels ronflements de moteur, si habituée aux camionnettes de ses voisins montant la côte avec peine.
Elle remuait dans sa tasse en porcelaine lorsqu’un bruit sourd la fit tressauter.
«Ouille, se dit-elle, encore un accident!»
La première gorgée de thé à peine avalée qu’on sonna au bas de l’allée bordée de flamboyants. Elle aperçut la silhouette d’un jeune homme boitant, son pantalon déchiré au genou. Il l’interpella quand il la vit dressée à la balustrade.
«Madame, pourrais-je téléphoner?» Son regard caché par d’immenses verres de soleil, il avait un accent italien.
Agatha héla Marguerite, sa fidèle cuisinière qui mijotait un consommé d’écrevisses pour le dîner.
Marguerite, on a sonné à la barrière. Celle-ci sortit en trottinant de sa cuisine: «Oui, Madame, je descends.» Le jeune homme remercia et dans un français chantant réitéra sa demande pour téléphoner.
Marguerite hésita, elle savait que Madame n’aimait pas être dérangée à cette heure-ci, mais décida de le conduire sur la galerie. Agatha le toisa du regard: «pourquoi allez-vous si vite? Les routes sont dangereuses par ici». Le jeune homme s’arrêta à quelques mètres de la vieille dame qui le détailla en buvant son thé.
Soudain, elle se revit il y a 40 ans à Assouan, son mari à l’époque était chargé de mettre en place des croisières en Egypte. Le jeune guide égyptien qui lui avait souri, Elle le revit, drapé dans sa gandoura blanche à fines rayures bleues, il portait un fez. Son visage était buriné, ses mains fines, ses pieds entourés de sandales de peau. Agatha se souvint…Ce jour-là, elle était malade… c’était un de ses premiers voyages… son corps brûlait, le bruit du ventilateur résonnait dans sa tête. A la vue du jeune guide, elle fut saisie, il l’émut au fin fond de son âme. Ses yeux de braise rivés sur elle… Les pyramides devinrent floues, elle ne voyait plus que ce visage… Son mari Maurice la bouscula presque pour la guider vers l’autocar qui devait les conduire plus en avant dans la vallée…
Elle tourna la tête pour emmener ce regard… Elle l’avait rêvé à maintes reprises et là… ce jeune intrus qui avait perturbé sa quiétude portait sur elle le même regard…
Marguerite s’était retirée en cuisine. Elle lui indiqua le fauteuil d’osier en face du sien d’une main tremblante. Lui la regardait toujours, attendant sa réponse.

Gêné par un rayon de soleil qui baissait, il remit ses lunettes. Instantanément la vieille dame revint à elle, à ici et maintenant.
«Qui vous a autorisé à entrer?» gronda-t-elle. «Déguerpissez !... et vite !... On va bientôt me servir à dîner.»


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