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lundi 20 octobre 2008

Autoportrait imaginaire de Claire

Je me présente, je m’appelle Claire, je suis née il y a 40 ans (1968 tout un symbole) sur l’ile de Bréhat au large des côtes bretonnes.
Je suis sourde de naissance, mes parents qui étaient tous les deux entendants ont mis plusieurs mois avant de se rendre compte de ma «différence».
J’ai grandi sur mon île, sans entendre le bruit de la mer, ni le vent dans les arbres… mais j’ai développé d’autres sens, et j’ai appris la langue des signes: cette langue magnifique où justement on n’utilise pas sa langue mais ses mains.

Ma vie s’égrenait paisiblement, j’avais cultivé une imagination qui me permettait de m’envoler au-delà de ma vie insulaire. Dès l’adolescence, je me suis mise à l’écriture, je remplissais des pages de «ressentis sonores»… tout ce que je n’avais jamais entendu prenait naissance au bout de ma plume. Et là, sans aucune prétention, se côtoyaient: les cloches de l’église, les rires des enfants, les pas pressés des habitants de l’impasse, les sirènes des bateaux, et même le cri des mouettes...
Tout cela résonnait en moi, non pas comme tout à chacun par mes conduits auditifs, mais par mon corps tout entier: des orteils à mes cheveux chaque partie vibrait selon sa position et ses possibilités.
Au bout de quelques années, je décidai de rassembler tous mes sons dans un recueil, mais c’est ce moment là que mes parents choisirent pour m’annoncer la grande nouvelle qui devait bouleverser ma vie.
Ma mère, très nerveuse, m’expliqua les mains tremblantes que nous devions partir très vite pour prendre le bateau. A Paris, les recherches concernant les implants cochléaires avaient fait une avancée considérable, et plusieurs greffes avaient été effectuées avec succès.
Mes parents qui souhaitaient depuis des années me faire entrer dans leur monde, touchaient du bout des doigts leur rêve. Ils avaient appris les rudiments de la langue des signes, moi je lisais sur les lèvres, on s’accommodait…
Mais moi cela fait vingt ans que je vis sans entendre mais je respire, je goûte, je sens, j’aime et surtout j’écris avec une impudeur et une légèreté propre à mon histoire.
Et si moi, je n’avais pas envie d’entendre, et si moi j’étais heureuse dans cette vie là…
Avec mes «je t’aime» du bout des doigts, et mes «bravos» de mains qui dansent.

Aujourd’hui j’ai 40 ans, dans le cimetière qui surplombe l’océan, je signe un grand merci à cette maman qui a su m’écouter, qui a su m’entendre et qui m’a laissé le choix.
Je suis restée sourde et je viens de publier mon premier ouvrage…
A bon entendeur!!!


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