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lundi 30 juin 2008

Premiers jours, premières fois

La première fois que j’ai rencontré la nouvelle maman, au moment même où elle m’a prise sur ses genoux, je savais que je démarrais une nouvelle tranche de vie; en revanche je n’imaginais certainement pas à quel point les jours et les mois qui suivraient allaient être remplis de premières fois de toute sorte…

Parfois je crois que je n’ai pas réalisé immédiatement qu’il s’agissait d’une première fois. Comme lorsque j’ai enfilé les vêtements qu’elle m’avait apportés. C’était de nouveaux vêtements, ils ne me plaisaient pas plus que ça, mais c’est vrai que j’ai été contente, ils avaient quelque chose de différent de ceux que je mettais d’habitude: à vrai dire, j’ignorais ce qu’était l’apprêt du neuf. Et j’ignorais aussi qu’on ne les mettrait pas au linge sale avec les autres et que je ne les verrai pas sur une autre la semaine suivante… Pourtant l’autre dame, celle qui parlait ma langue, me l’a dit : c’est pour toi. Mais je n’ai pas vraiment compris ce que cela voulait dire et je les ai enfilés sans y attacher vraiment d’importance. Le sac à dos aussi, j’ai été contente de le porter et de le vider et le remplir dix mille fois. Mais je n’ai pas compris tout de suite que je le garderai, comme tous les jouets qu’il y avait dedans – d’ailleurs je ne les ai pas tous gardés…
Parfois, il se peut que la première fois n’en ait pas été une – et que je n’en sache rien, tout au moins que je n’aie pas de certitude à ce sujet. Ainsi quand nous sommes sorties en ville toutes les trois, pour nous promener. Maman me serrait la main très fort et ça faisait drôle d’être dans la rue sans les autres, autrement qu’en rang par deux, comme cela arrivait parfois, avec les dames de l’orphelinat. Marcher entre deux adultes, qui s’occupaient de moi et demandaient si on ne marchait pas trop vite, les entendre parler entre elles, les voir me regarder et me montrer telle ou telle chose, c’était vraiment bizarre et je me souviens avoir adoré ça. Mais était-ce vraiment une première fois? La première fois avec la nouvelle maman, oui, la première fois avec l’autre dame, oui, mais la première fois avec une maman, sans doute que non… je me souviens que dans la rue je me suis sentie chez moi et que j’ai su que j’avais déjà marché tranquillement dans des rues qui ressemblaient à celles-ci. Avec une maman.
Comment savoir ce qui était une première fois? Quand nous avons pris un taxi, oui, sans doute, ce devait en être une. Quand nous sommes entrées dans un magasin, peut-être que non. Mais quand on m’a demandé quel jouet je voulais et que la nouvelle maman me l’a acheté, alors là, oui je crois que c’était une première fois. Comme pour la médaille que j’ai choisie dans une église et avec laquelle je suis ressortie, en récupérant même la petite monnaie rendue à la caisse : oui, c’était une première fois, je n’avais pas de médaille – mais après tout qu’est-ce que j’en sais? Peut-être que j’en ai eu une… avant? Peut-être même que c’est pour cette raison que ça m’a fait tellement plaisir, qui peut savoir? Je ne l’ai pas gardée longtemps, cette médaille, elle n’était plus dans mes affaires quand Maman est revenue me chercher – mais ça c’était la vie de l’orphelinat et peut-être aussi un peu celle d’avant.
Je crois qu’il y a des choses que je savais déjà de la vie qui m’attendait, justement parce que tout n’y était pas fait de premières fois. Quand nous sommes rentrées à l’orphelinat, que je suis passée par ma chambre et que les copines m’ont demandé quand j’allais revenir, j’ai fait cette réponse qui allait faire rire tous les adultes: «je ne sais pas, moi, quand on a une maman, c’est la maman qui décide…». Est-ce que cela ne veut pas dire que je savais ce qu’était la vie avec une maman? Les dames de l’orphelinat ont ri et quand Maman a entendu la traduction, elle s’est esclaffée et il paraît qu’elle a dit «je doute qu’elle continue longtemps à voir les choses comme ça, mais le jour venu je saurai lui rappeler que c’est elle qui l’a dit !»
Est-ce que je savais déjà aussi qu’une maman s’occupe de nourrir son enfant? Pas au restaurant en tout cas, j’en doute. Mais ça ne m’a pas impressionnée, si ce n’est qu’il y avait trop à manger et que ça c’était vraiment nouveau.
Colorier des cahiers pendant des heures, ça oui, c’est une première fois que j’ai adorée. Je m’y suis tellement appliquée que Maman a cru que je devais avoir l’habitude de dessiner, alors que là, j’en suis certaine, c’était bien une première fois! Comme l’ardoise magique, sur laquelle on écrivait et dessinait tour à tour avec Maman, pour que j’écrive mon nom, ça aussi c’était nouveau.
Quand Maman est partie, la vie à l’orphelinat a recommencé mais plus rien n’était tout à fait pareil.
Parfois les dames m’appelaient et me montrait la télévision en disant «Viens voir, viens voir, la France!» - on y voyait un grand monsieur, à qui je trouvais une tête sympathique et qui parlait français – le président, disaient-elles. Avant lui et la nouvelle maman, personne ne m’appelait pour regarder la télévision!
Une heure par jour, j’allais dans la grande salle et je retrouvais mon sac à dos et mes affaires, le carnet de photos que Maman m’avait donné, les crayons de couleur, l’ardoise, la peluche marionnette – et mes vêtements à moi. Maman a ensuite envoyé d’autres photos, de nous deux, avec une jolie carte; elle en a même envoyé plusieurs, avec d’autres cahiers à colorier. Elle a aussi téléphoné et j’entendais sa voix, très loin. Une fois j’ai chanté Frère Jacques, que m’avait appris Louisa: jamais on ne m’avait téléphoné, jamais je n’avais chanté au téléphone…
Et puis Maman est revenue me chercher, j’avais barré plein de jours sur le calendrier et enfin c’était arrivé. Enfin j’allais pouvoir mettre mes vêtements de France et partir! En plus de mon chien-peluche, que je n’ai plus quitté pendant très longtemps, Maman avait apporté une combinaison qu’il a fallu mettre par-dessus et dans laquelle j’étais engoncée: je n’ai pas trop aimé – mais si c’était le prix à payer pour partir, pour sûr que je n’allais pas me plaindre! D’autant qu’on m’avait dit que nous allions prendre l’avion… et là, c’est certain, c’était bien une première fois!
En France, tout a été nouveau, il n’y a plus eu que des premières fois – ne serait-ce que parce que c’était en France! La première fois que j’ai vu l’immeuble, la première fois que je suis entrée dans l’appartement, puis dans ma chambre… que je regardais pour de vrai tout ce que j’avais contemplé en photos pendant les deux mois d’attente… je pouvais tout toucher, j’ai tendu la main et Maman a fait signe que j’avais le droit… tout ce qui était sur les étagères, on pouvait le prendre!
Dans cette chambre, j’ai dormi pour la première fois et je crois bien que j’ai dormi seule pour la première fois – mais cette nuit là, j’étais si fatiguée que je me suis endormie dès que j’ai été dans mon lit! Ni Maman ni moi ne savions que cela ne se passerait plus jamais comme cela – sauf le soir d’une autre première fois: celle de la piscine, après quoi j’ai fait une nuit de douze heures! Mais là aussi, ça n’a marché que la première fois…
Quand on a pris la voiture le lendemain, j’ai dû m’installer seule derrière, et c’était la première fois. J’ai eu beaucoup plus peur que dans les taxis, où j’avais Maman à côté de moi. Passer si près des voitures ou des vélos, que de frayeurs… j’ai mis longtemps à m’y habituer. J’ai vu le Père Noël, il m’a même donné un cadeau… et j’ai vu plein de gens qui connaissaient Maman et savaient mon prénom, j’ai aussi eu plein de bonbons qui n’étaient que pour moi et qu’on n’allait pas me reprendre – et ça, c’est sûr que c’était une première fois!
Avril 2008


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