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mardi 24 juin 2008

Le château des enfants

Il était une fois, au pays des loups et des elfes, un château délabré au bord d’un lac gelé, enfoui sous la neige et caché par la forêt. Un filet de fumée sortait de sa cheminée et derrière de lourds volets déglingués, tremblaient les lueurs de candélabres allumés.

On l’appelait le château des enfants. Dans une des chambres, Il y avait un tout tout petit bébé, une petite fille toute menue, toute fragile dans un berceau minuscule, enfouie sous d’épaisses couvertures en laine rugueuse. Elle avait été déposée par une dame doctoresse qui avait pris soin d’elle à sa naissance, car elle avait failli mourir. Elle avait la peau translucide, d’une blancheur cristalline, maillée de fines veines, et des yeux couleur de mer agitée.

Trois babouchka aux pommettes hautes et rougies par le froid, prenaient soin d’elle à tour de rôle. Elles lui mettaient un petit bonnet crocheté pour qu’elle n’attrape pas froid et lui donnaient quelques gouttes d’un délicieux breuvage mystérieux pour qu’elle retrouve des forces. Elles se demandaient souvent d’où venait cette adorable enfant aux longs cils, et rêvaient qu’elle était une princesse oubliée ou une fée égarée.

Le petit ange grandissait, sa beauté s’éclosait de jour en jour, comme une rose ou un bouton d’orchidée, et ses nourrices s’émerveillaient de ses sourires ravageurs et de ses prunelles intenses. Les vieilles femmes gardaient jalousement ce trésor, le monde était trop cruel, elles n’en parlaient qu’en chuchotant, c’était leur secret.

La plus âgée des trois femmes, au visage rabougri comme une vieille pomme, avait le cœur chavirée lorsqu’elle prenait la petite dans ses bras. Elle lui chantait tous les soirs d’une voix rauque et mélodieuse, doucement au creux de son oreille, la berceuse qu’elle préférait pour l’accompagner au pays des songes. Elle l’effleurait de caresses en cachette, et lui soufflait de minuscules baisers dans le cou lorsqu’elle lui donnait son biberon.

Un matin de décembre, obscur et glacial, elle se réveilla avec un sombre pressentiment. Elle avait rêvé durant la nuit que sa petite protégée avait été enlevé par des loups qui s’étaient introduits dans la chambre qu’elle avait oubliée de fermer à clé.

Ils avaient dévoré les deux autres femmes, trop faibles pour se défendre et alors qu’ils s’apprêtaient à se régaler de l’enfant sans défense, entendirent une douce mélodie. La petite fille s’était assise, un peu instable, dans son lit à barreaux, la tête dodelinant et leurs avait tendu les bras en riant, ravie par cette agitation mais un peu apeurée. Elle fredonnait la comptine que lui avait apprise sa nourrice préférée pour se rassurer.

Depuis des siècles, les loups erraient à la recherche du royaume qu’il avait perdu. Une légende disait qu’ils le retrouveraient le jour où ils sacrifieraient un petit humain. Cela marquerait la fin du règne de la paix et des hommes, et ouvrirait une ère de terreur, de hurlements et de sang dans laquelle tous les mauvais génies deviendraient rois et les loups empereurs. Mais cette petite voix fluide, sibylline, les émouvait et les faisait douter.

La nourrice, sans prendre le temps de s’habiller, enfila son manteau en fourrure de lièvre qu’elle boutonna aussi vite que ces doigts douloureux le lui permettaient. Elle couru vers le château en traversant les champs de neige. Elle s’enfonçait à chaque pas, et sentait ses pieds s’engourdir avec le froid. Son souffle était court, sa respiration hachée, son visage transpercé par des aiguilles acérées, ses yeux pleuraient, mais elle continuait son chemin, le dos courbé sous la violence des rafales. Le vent avait durci et couvrait la plaine d’une lugubre lamentation, elle croyait percevoir les hurlements sinistres de la meute carnivore mêlés aux sifflements de la tempête, et redoutait que son cœur ne s’arrête de battre, tant ces battements l’assourdissaient.

La vieille femme était épuisée, elle sentait ses forces l’abandonner, ses jambes ne la soutenaient plus, elle implora Aouka, l’esprit de la forêt qui ne dort jamais, de lui venir en aide et de calmer les Assilki (1) qui déchaînaient les cieux.

Alors qu’elle se perdait dans l’opacité laiteuse qui l’entourait, elle aperçut une izba de glace, étincelante comme un diamant. La porte s’ouvrit et elle reconnut Ded Moroz (2) derrière sa longue barbe blanche et soyeuse, son bonnet bordé de fourrure enfoncé jusqu’aux yeux. Il portait une pelisse longue et bleue, fermée par une ceinture en cuir, des bottes de feutres usées, et d’épais gants en cuir. Il rejoignait un traîneau chargé de paquets de toutes tailles et couleurs, tiré par quatre cerfs aux bois immenses, en s’appuyant sur un long bâton lorsqu’il trébucha sur elle, affalée sur le sol. La vie quittait cette brave femme, mais dans une ultime expiration, elle trouva la force de lui confier le secret de la petite merveille en danger dans le château délabré près du lac.

Ded Moroz avait une fille, la princesse Snégourotchka (3) qui pleurait de ne pas être maman. C’était une grande et belle jeune femme, aux longs cheveux d’or et aux yeux couleur de mer calme. Elle avait passionnément aimé Iarilo (4), un très beau jeune homme qui parcourait le monde sur un cheval blanc, le dieu du Soleil, mais s’était brûlée si fort que son cœur était devenu glacial et qu’elle ne pouvait plus s’enflammer d’amour. C’était le soir de Noël, Ded Moroz était attendu pour récompenser les enfants sages, il ne pouvait s’attarder plus longtemps alors il confia à sa fille chérie le secret et l’envoya chercher l’enfant.

Snégourotchka, dès que son père lui eut parlé, vola de toutes ses forces vers le château oublié, craignant qu’il ne soit trop tard. Elle entendit la mélodie fluette qui la conduisit à la chambre où elle vit les loups silencieux et menaçants qui entouraient le berceau. D’une voix forte et décidée elle leurs cria de quitter le lieu sans attendre, les menaçant d’appeler à sa rescousse tous les démons de la forêt pour les exterminer. Sa détermination était si grande que les loups s’enfuirent sans lutter. Elle vit alors sa fille et son cœur s’embrasa d’amour. Elle lui donna le prénom de la déesse de la lumière et de la musique et elles vécurent heureuses éternellement.

1/ Géants, personnages mythologiques des slaves. Ils sont capables de créer rivières et montagnes, et quand ils sont en colère, ils déracinent les arbres, détruisent les rochers et les montagnes et provoquent les tempêtes et le tonnerre.
2/ Père Noël, dieu de l’hiver et du froid
3/ Fille de Ded Moroz et de Vesna, la déesse du printemps
4/ Dieu du soleil, de la nature qui se réveille, de la passion, de la force virile, dieu de la jeunesse et de l’amour charnel



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1 commentaire:

  1. C'est un joli conte avec toutes les angoisses possibles, et il se termine bien :=) C'est émouvant, je ne sais pas comment les enfants peuvent "recevoir" de tels contes.
    Maya

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