Attention, droits réservés

Creative Commons License
Les textes des Ateliers Ecritures Colombines mis à disposition sur ce blog par Nadine Fontaine sont régis par les termes de la licence Creative Commons. Leur citation n'est permise qu'assortie du lien indiquant leur origine et ne peut donner lieu à usage commercial sans accord avec les auteurs.

samedi 27 octobre 2007

Kinder Surprise

Je ne sais pas si j’ai bien compris votre question de la semaine dernière. Rien ne m’empêche d’être mère, c’est bien pour ça que je viens vous voir. Les médecins me disent que tout va bien, je n’ai absolument aucun problème de stérilité – et mon mari non plus. Nos corps ont tout ce qu’il faut pour faire un enfant. La médecine jusqu’ici n’a rien pu faire pour nous, les PMA, les fécondations in-vitro…
Ça fait dix ans qu’on essaie, on n’en peut plus. J’aurais dû commencer plus tôt, encore deux ans, et ce ne sera plus possible, passé 42 ans, la médecine ne veut plus vous aider. Mais qu’est-ce que je vais devenir? C’est pour ça, uniquement pour ça que je viens vous voir, car sinon tout va bien, moi je n’ai jamais eu besoin d’aller voir un psy. Mon mari ne veut pas en entendre parler, il n’y croit pas, lui, à la version psychosomatique.
Je déteste ces mois qui passent, ces lunes toujours rouges.

J’aurai 40 ans cette année, et toujours pas d’enfant.
Ma mère? Elle ne dit rien, que voulez-vous qu’elle dise! Elle ne doit pas trop comprendre pourquoi je n’arrive pas à faire d’enfant, elle en a eu 6, elle! Je suis la dernière, la surprise, pensez à 42 ans, à cette époque-là, c’était mal vu.
Mais oui, elle était heureuse, en tout cas je n’ai jamais entendu le contraire. Je suis la seule de la famille à ne pas avoir d’enfant. Faut croire que j’ai tiré le mauvais numéro.
Pardon? Je suis née 7 ans après le numéro cinq. Ma mère a eu les cinq autres enfants coup sur coup, je suis la surprise comme je vous disais. Tiens, c’est rigolo, ma sœur aînée, le numéro deux, elle m’appelle Kinder surprise. J’adorais les kinder surprise.
Kinder? Euh oui, ça veut dire enfants en allemand. Oui, au pluriel.
Non, ça ne me dit rien d’autre.
J’aimais ça, alors ma sœur m’en offrait, faut pas chercher midi à quatorze heures. Je ne vois pas où vous voulez en venir.
Elle s’appelle Anne-Catherine. Elle a trois enfants, trois garçons. Elle n’a pas eu d’autre fille que moi.
Enfin, je veux dire, Anne-Catherine a été comme une seconde mère pour moi. Pensez, elle avait vingt ans quand je suis née! Elle n’habitait plus chez nous, mais elle venait souvent nous voir. Me voir. A chaque fois, elle m’apportait un cadeau et un Kinder surprise!
Pourquoi me posez-vous cette question d’un seul coup? Ça fait deux mois que je viens une fois par semaine et vous ne savez même pas comment je m’appelle! Et puis cette question arrive comme un cheveu sur la soupe.
Je vous répète que je viens seulement vous consulter pour débloquer je ne sais quoi qui serait bloqué m’empêchant d’être maman.
Je ne sais pas ce qui m’empêche; c’est pour ça que je suis là. Si je le savais, je n’aurais pas besoin de vous.
Je m’appelle Katia.

J’ai encore fait ce rêve, vous savez, celui que je vous ai déjà raconté. Pareil. Exactement le même.
Je ne vais quand même pas vous le raconter à chaque séance, je vous dis que c’est toujours le même. Il me coûte cher ce rêve, vu le prix de la minute.
C’est la nuit. Il y a une petite fille dans un lit qui dort, elle serre dans ses bras un chien en peluche. Elle gémit. Au début on n’entend rien du tout, puis les gémissements deviennent plus forts, et ça finit en hurlements. Elle appelle «maman, maman». Ça dure longtemps, personne ne vient, tous ces cris, ces pleurs – parfois ils diminuent puis ils reprennent – en fait ils ne cessent pas vraiment. Ils s’interrompent seulement lorsque la porte de la chambre s’entrouvre et qu’une femme entre. La femme s’avance vers le lit, on ne voit pas son visage, la petite fille s’arrête de gémir mais elle garde les yeux fermés, elle dit «maman?» et la femme répond «oui, je suis ta maman» et elle tend la main vers les cheveux de la petite, mais à ce moment-là la petite hurle qu’elle n’est pas sa maman et rejette la femme qui s’en va en pleurant. Et puis il y a encore une autre femme qui entre. Et ça recommence, c’est sans arrêt la même scène qui se joue mais avec des femmes différentes. Ce n’est jamais la bonne, la petite fille ne reconnaît pas sa mère. Elle les rejette toutes. C’est terrible. Et ces pleurs qui ne cessent pas. Quand je me réveille, j’ai le visage mouillé, comme si c’était moi qui avais pleuré, comme si c’était moi la petite fille qui appelait sa mère et qu’aucune des femmes qui venaient la voir et la calmer n’était sa mère.
C’est quand même incompréhensible, ce rêve. Vous ne trouvez pas?
Ah? Vous êtes sûre? Enfin, les deux interprétations se valent, je ne sais pas si d’habitude je pense être les femmes successives que son enfant ne reconnaît pas. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit aujourd’hui que la petite fille c’est moi. D’ailleurs, c’est une erreur. Je ne vois pas pourquoi je chercherais ma mère, je la connais. Mais je cherche ma fille, ça, c’est sûr.
Toutes les nuits, des pleurs d’enfant me réveillent, toutes les nuits. Ça confirme seulement que je veux un enfant et que cet enfant en moi pleure de ne pas…
Que je ne sois pas sa mère.
Vous m’embrouillez.

J’ai quinze neveux et nièces, chaque anniversaire est une torture. L’aînée est plus vieille que moi et j’ai seulement 2 ans de plus que le premier fils d’Anne-Catherine. La vie est injuste parce qu’elle en a bavé pendant ses trois grossesses, elle aurait dû s’arrêter au premier. A chaque fois, il fallait changer le sang du bébé in utéro.
Parce qu’elle est O - et lui A +. Tout le monde est O- dans la famille. Sauf moi – et les pièces rapportées.
Oui, pour les trois garçons.
Bien sûr, pour le premier aussi. Ils sont tous les trois du même père. Que je sache.
N’importe quoi! J’ai jamais entendu parler de ça, pourquoi est-ce que ce n’est pas nécessaire de transfuser le premier-né? Les médecins font les analyses sanguines avant chez la mère et je suppose qu’ils font les mêmes pour les hommes, non?
Ma sœur n’a certainement pas eu d’enfant avant Benoît, et de qui? Catho comme il est, mon beau-frère n’aurait pas voulu d’elle si elle avait été fille-mère.
Vous m’énervez.


L.C.




Partager

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vous avez aimé ce texte ?
Dites-le !