Attention, droits réservés

Creative Commons License
Les textes des Ateliers Ecritures Colombines mis à disposition sur ce blog par Nadine Fontaine sont régis par les termes de la licence Creative Commons. Leur citation n'est permise qu'assortie du lien indiquant leur origine et ne peut donner lieu à usage commercial sans accord avec les auteurs.

vendredi 21 janvier 2011

Et puis vint le temps du retour...

Marie, 6 août 2005

Et puis vint le temps du retour.
Après les premières émotions, les premiers regards, les premières caresses, les premiers mots, d’abord timides et murmurés puis plus assurés, après le bruit du hall d’aéroport, les dernières recommandations, l’ascenseur vers le parking, la porte de la voiture se referma et enfin nous nous retrouvâmes un peu seules. Le temps de la vie à deux était enfin venu et après presque deux ans de procédure, le temps de commencer à être pleinement ta maman… Un «amerissage» devenu bien réel avec un bébé qui n’allait pas tarder à révéler toute la puissance de sa voix…

Car malgré tes 7 mois et tes 6 petits kilos, tu me montras très rapidement ton mécontentement. A peine m’étais-je assise dans l’habitacle que tu commenças à protester. D’abord discrètement puis, voyant que ta situation ne s’améliorait pas, tu décidas de te faire entendre davantage, jusqu’à hurler. Je n’avais pas imaginé une seconde que le voyage de retour vers ton nouveau foyer allait prendre cette tournure, j’avais même rêvé d’un babillage agréable, toi gazouillant à mes côtés et regardant le paysage défiler par les vitres de la voiture pendant que nous nous éloignerions de Roissy et que nous roulerions vers l’Ouest. Mais tu en avais décidé autrement et ce fut la première fois que tu montras à quel point tu étais bien réelle et non plus ce bébé sur une photographie.
Tu n’appréciais pas d’être attachée, toi qui avais vécu jusqu’à présent sans contraintes de ce genre. Ton premier voyage en voiture datait de la veille et tu n’avais pas dû en garder un bon souvenir. Mais nous allions passer pas moins de trois heures enfermées ensemble dans la voiture donc il faudrait bien qu’à un moment tu te calmes.
Les tunnels furent ta deuxième source d’angoisse. A chaque fois que nous en traversions un, tu hurlais de terreur et moi, démunie, je ne savais que te caresser les cheveux en te répétant tendrement que désormais j’étais ta maman et qu’avec moi il ne pouvait plus rien t’arriver. Je ne dus pas être très persuasive car presque une heure plus tard, tes cris continuaient.
Que faire pour que tu t’apaises? Entrer aussi abruptement dans la réalité de la maternité fut un choc après la douceur de la rencontre où tout s’était déroulé idéalement. Je me souvins des questions posées par la psychologue au cours des investigations censées me préparer à mon futur rôle de maman. Elles étaient bien loin les interrogations virtuelles du cheminement pour arriver à l’agrément et j’étais confrontée brutalement à la souffrance de ma fille dans des circonstances d’une grande banalité: ma fille détestait la voiture, première source de conflit entre nous!
Il me semble me souvenir que tu finis par t’apaiser car quand nous arrivâmes chez ton oncle et ta tante, tu dormais.

Mais il fallut bien repartir. Le répit d’un biberon, d’un bain et d’une sieste t’avait fait retrouver le sourire, néanmoins les bretelles du siège auto n’étaient décidément pas à ton goût, ni la voiture d’ailleurs. Ton cousin qui était avec nous essaya aussi de t’amuser mais n’eut pas plus de succès que moi.
Les hurlements reprirent de plus belle, aussitôt le moteur allumé. Je fis preuve d’une patience que je crois ne jamais plus avoir eu depuis. Je chantai, fis des grimaces, te racontai le long chemin qui m’avait mené à toi, te menaçai des pires représailles et à la longue, je finis par m’arrêter sur une aire d’autoroute, décidée à te regarder les yeux dans les yeux et à t’expliquer la vie.
Mais la vie pour toi tenait à la confiance que tu pourrais placer en moi et le biberon que tu me regardas préparer fut comme un baume sur tes angoisses. Les cris cessèrent, les larmes qui avaient fait de longues traînées sur tes joues séchèrent et tu te nichas dans le creux de mes bras, bien calée, les yeux mi-clos, proche de l’extase. Le bruit de succion de tes petites lèvres me confirmèrent le bien être revenu. J’avais finalement triomphé du premier obstacle de notre vie commune. Obstacle bien modeste, certes, mais obstacle bien réel pour une toute jeune maman.
Le reste du voyage se fit dans le calme revenu: tu dormais, la bouche entrouverte, le coin des lèvres retroussé dans un vague sourire et les poings serrés dans un geste de grande résolution. Quant à moi, j’étais épuisée par cette journée commencée seule dans un hall d’aéroport et qui allait se finir dans une voiture roulant vers Angers.




Florian, 31 juillet 2007

Loin de nous le hall d’aéroport, les chariots pleins de bagages, les pleurs angoissés des petits qui comprenaient enfin que leur «cigogne» n’était pas leur nouvelle maman, nous nous précipitâmes vers l’ascenseur pour fuir cet endroit détestable.
Lorsque nous nous installâmes dans la voiture, Marie, ta grande sœur se calma immédiatement. Elle avait eu tellement peur de repartir en Ethiopie avec l’avion qui t’avait mené jusqu’à moi que la très brève attente dans le hall de l’aéroport s’était transformée en cauchemar. Mais nous allions repartir chez nous, nous retrouver tous les trois et elle fit un sourire de soulagement. Elle se mit même à boire le biberon de chocolat apporté pour patienter qu’elle avait jusque là refusé de toucher.
Je t’attachai et m’attendis à t’entendre protester tout de suite comme ta sœur deux ans plus tôt mais tu la regardais, assise derrière toi et tu étais trop intrigué pour te rendre compte que tu étais entravé. Tu ne te mis à hurler que quand la voiture démarra. J’étais juste derrière toi, tu me voyais, je te tenais la main, te caressait la tête mais rien n’y faisait. J’avais l’impression de revivre le retour de 2005 avec Marie. Evidemment tu détestas les tunnels mais à la différence de ta sœur, tes cris t’arrachaient des quintes de toux tellement fortes que je crus que tu allais vomir. Pourtant ta sœur te souriait. Tu t’endormis d’épuisement avant d’arriver chez ton oncle et ta tante à Paris.
Mais il fallut repartir après une pause pour manger et dormir un peu.
A la différence du retour à la maison de 2005, je décidai de ne pas me laisser impressionner. Certes, tu souffrais manifestement de cette position semi-allongée, d’être attaché et tu étais terrorisé par la voiture mais je n’y pouvais pas grand-chose puisque mes marques de tendresse et mes mots rassurants ne te calmaient pas. Je t’observais et je voyais bien aussi à quel point tu étais pâle, amaigri, combien ta peau était abîmée, petit oiseau fragile dans un nid que tu n’appréciais pas encore. Là encore, rien ne m’avait préparée à cette situation même si ta sœur avait eu des réactions identiques. Je ne pensais pas que mes deux enfants feraient leur premier trajet en voiture à deux ans d’intervalle en étant aussi apeurés. Je me souvins alors de mes réflexions sur l’implication de Marie dans cette nouvelle adoption mais je n’eus pas besoin de chercher longtemps, elle commença à te parler, à te sourire, à te chanter des comptines. Cela ne suffit pas, certes, mais je lui fus reconnaissante de cette tentative.
Au bout de quelques temps, je finis par être agacée de tes pleurs continuels et te le dis. Tu me regardais avec tes grands yeux noirs, tes joues ruisselaient de larmes, ton nez coulait et les sanglots soulevaient ta poitrine creusée. Je ne sais pas exactement ce que je ressentis à ce moment-là mais je crois que je devins vraiment ta maman à cet instant. La maman d’un petit bébé qui me paraissait très fragile et qu’il allait falloir apprivoiser, panser, câliner beaucoup.
Finalement, ce fut encore le biberon qui apaisa ton angoisse. Tu te retrouvas dans mes bras, cela te rassura et tu bus les yeux mi-clos. Je retrouvai immédiatement des sensations oubliées: odeur écoeurante du lait en poudre, bruit de succion des tout petits bébés, pression de ta main sur mon sein, grumeaux et bulles laissés sur le verre du biberon presque vidé. Tu semblais enfin te laisser un peu aller mais nous n’étions pas encore arrivés et j’appréhendais de remonter en voiture.
Je te remis dans ton cosy un peu plus tard mais cette fois-ci, vaincu par la fatigue ou découragé de constater que tes protestations n’avaient pas été prises en considération, tu ne tardas pas à t’endormir et tu ne t’éveillas que quand nous fûmes à la maison. 

V. 

1 commentaire:

Vous avez aimé ce texte ?
Dites-le !