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vendredi 26 août 2022

Au revoir - si Dieu le veut...

Ce matin, Camille est assise à son bureau, un immense bouquet d’anémones bleues et blanches aux formes droites et courbes embaume le lieu. 
Son bureau se situe - dans une partie de l’abbaye Notre-Dame Du Vœu -, à Cherbourg, dans la Manche. Celle-ci vient d’être restaurée par son entreprise afin de mettre à disposition des structures de la région des hébergements professionnels temporaires. 
Camille est souriante, elle éprouve une grande satisfaction à travailler dans un lieu pareil, empli des vies ayant demeuré dans l’abbaye, chargé, notamment, de l’âme reconnaissante d’une vie sauvée; la légende raconte que, prise dans une terrible tempête en mer entre la Normandie et l'Angleterre, Mathilde «l'Emperesse», petite-fille de Guillaume le Conquérant, aurait demandé à la Vierge de la sauver, promettant d'ériger une église là où elle débarquerait. 
C’est l’été, un léger vent pénètre par la grande baie vitrée du bureau, Camille contemple les papillons bleus et blancs voletant dans les fleurs et les herbes hautes de la pelouse. En levant les yeux, elle aperçoit la sculpture de la Vierge Marie posée sur une colonne, protégée par les arbres du parc de l’abbaye. Camille la scrute avec défiance. 
Marie, modèle de femme, paisible et harmonieuse, qui accomplit avec amour les gestes du quotidien. La Madone, la tête penchée, les bras baissés, ses mains vides, ses doigts longs légèrement courbés voulant saisir quelque chose ou quelqu’un ou peut être ayant laissé chuter un objet ou un être, apparaît pleine de douceur et de bienveillance. 
A ce moment-là, Camille songe; aujourd’hui elle est à mi-parcours, les questions sur le sens de sa vie la taraudent, même si elle mène sa carrière avec un certain brio et même si elle se sait promise à d’autres fonctions et de nouvelles responsabilités, elle ne peut s’empêcher de penser que son existence n’est pas totalement satisfaisante. Sa réussite professionnelle, elle y pense depuis l’adolescence, elle est déterminée, elle ne veut la manquer pour rien au monde. 
Dans sa réalité sociale, elle se dit que sa vie est belle; elle a épousé un ingénieur de l’entreprise, elle a trois enfants, la réussite est au rendez-vous, la famille évolue de façon heureuse. 
Ce bonheur ne la rend pas loquace. Elle n’évoque ses joies, ni avec ses amis, ni avec sa famille, elle dit simplement que tout va bien et n’approfondit aucune discussion de ce type. 
Malgré tout, Camille montre de l’ouverture d’esprit, de la tolérance dans ses relations aux autres. 
Mais là, tout de suite, elle éprouve de la gêne, de l’embarras. Quelque chose n’est pas vrai, sonne faux. Elle ressent de la tristesse, elle se recroqueville dans son large fauteuil de bureau, elle est frémissante, frissonnante. 
Elle sursaute, tout à coup elle se souvient de son rendez-vous l’après-midi. Elle reçoit un nouveau client, elle doit parvenir à créer une relation de confiance, «Je dois me ressaisir» pense-t-elle. Elle se lève et va rechercher une bouteille d’eau dans la cuisine, pour se rafraichir. 
Dans son bureau, le téléphone sonne, elle quitte la cuisine pour répondre; elle parvient à prendre l’appel de façon calme et apaisée. Les jours s’égrènent avec leurs lots de questions, de réponses, de réflexions et de décisions. 
Au cours d’une nuit agitée, Camille fait un rêve; la mère de Jésus est face à elle, dans ses voiles blancs, son manteau bleu, sa tête baissée est voilée d’un léger tissu; de longues larmes glissent le long de ses joues et s’écoulent sans discontinuer. 
Camille s’éveille le visage baigné de larmes. Une grande tristesse et un profond chagrin l’étreignent. 
Camille est secouée, tremblante; «Je suis si malheureuse, je suis tellement triste» songe-t-elle. 
Réveillé par les pleurs, son époux ouvre les yeux et la regarde interrogatif et inquiet. 
— « Pourquoi pleures-tu? Qu’est-ce qui se passe? Ca ne va pas?» 
Camille raconte alors son rêve et son chagrin. Son mari dit alors: 
« Mais oui, je sais bien que tu n’es pas tout à fait toi-même 
—Que veux-tu dire? répond interloquée Camille 
—Je sais que dans ta vie, tout ne te va pas 
—Oui, enfin, ce n’est pas à cause des imperfections de ma vie que j’éprouve un tel chagrin.» 
Une nouvelle journée commence, les enfants arrivent dans la chambre de leurs parents, ils veulent des câlins et des jeux, mais Camille les repousse doucement, les enfants s’écrient: 
«Mais maman, qu’est-ce que tu as? 
—Je me sens triste, les enfants 
—c’est à cause de nous? 
—Non, ce n’est pas ça, je vous aime, bien sûr». 
La matinée s’écoule, les enfants doivent s’habiller, ils ne trouvent pas toutes leurs tenues dans leur armoire. 
Camille leur dit qu’elle ne veut s’occuper de rien, ils doivent se débrouiller. Son mari intervient et aide les enfants, puis comprenant la fatigue de son épouse, il prépare le déjeuner familial. 
Quelques semaines passent sans heurt apparent. 
La nouvelle de la naissance d’un petit-neveu parvient à Camille. Toute la famille veut découvrir ce petit-neveu et petit-cousin. 
La sœur de Camille et son mari annoncent, fiers et joyeux, la date d’un déjeuner rassemblant la famille au grand complet pour souhaiter joyeusement la bienvenue à cet enfant. 
Chacun est ravi à l’idée de ce déjeuner, Camille, elle, n’exprime aucune joie… 
Le jour du déjeuner de fête arrive, Camille et sa famille sont au rendez-vous familial; les enfants sont impatients de revoir leur tante et de rencontrer ce nouveau cousin, futur compagnon de jeux. 
Les retrouvailles se font dans la joie. Tous s’embrassent chaleureusement. Seule, Camille cherche à s’isoler et ne participe pas à la joie du moment. 
Puis, elle voit entrer dans la maison, sa nièce serrant sur son cœur son bébé; cette nièce a les yeux brillant de bonheur, un sourire aux lèvres tout de douceur. 
Chacun admire son bébé et la félicite pour sa forme radieuse. La jeune femme est euphorique, enthousiaste, elle ne cesse de raconter la joie d’être mère. 
Camille est en retrait, tétanisée. 
Sa nièce lui propose de prendre le bébé dans ses bras. 
C’en est trop! 
Camille traverse la maison en courant, elle crie: «Je pars, je pars, veillez sur ces enfants merveilleux». 
Elle sort, se dirige vers la voiture, monte, s’installe au volant, ajuste sa ceinture de sécurité, tourne la clé de contact, passe la marche arrière et … disparaît. 
Camille, n’a plus jamais donné de nouvelles. 

Abeille

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