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samedi 6 janvier 2024

La dame blanche

Je me souviens qu’iI faisait chaud. C’était la première fois que je quittais le giron maternel. J’avais 16 ans. Mes parents m’avaient envoyé passer l’été chez mes cousins pour les aider à préparer leur déménagement prévu en septembre. Toute la famille quittait Toulouse pour Lyon où mon oncle travaillerait désormais. Nous étions en 1929, au mois d’août. Nous commencions nos journées de bonne heure avant que la chaleur ne soit trop accablante. Jusqu’à midi, nous faisions le tri des livres et des objets que la famille souhaitait conserver. Je faisais des piles que ma cousine empaquetait soigneusement. C’était laborieux, mais nous étions joyeux et heureux à la perspective de cette nouvelle vie. La famille serait de nouveau réunie. Mon père et ses frères et sœurs étaient très proches. 

Nous avions pris l’habitude, Gabrielle ma cousine et moi, de nous promener sur les bords de la Garonne après 17 heures, lorsque la chaleur était un peu tombée. Près de l’eau, il faisait plus frais et puis pour s’y rendre, il nous fallait traverser une partie de la ville. C’était une belle promenade. Je prenais toujours avec moi mon appareil photo car depuis quelques mois il m’était indispensable. 

Ce jour-là donc, alors que nous passions par le jardin des plantes, je remarquai une femme et son enfant. Un homme les prenait en photo, probablement son mari et le père de l’enfant. Je fus tout de suite saisi par la grâce et la délicatesse de sa silhouette, son élégance, sa robe blanche et sa capeline légèrement rabattue sur les yeux et puis l’enfant, une petite fille, son chapeau et ses socquettes blanches de rigueur. Elle était assise au bord de sa poussette avec un air facétieux. Je m’approchai discrètement et j’appuyai sur le déclencheur. L’homme fut si surpris qu’il se retourna, furieux. Du haut de mes 16 ans, j’eus un mal fou à lui faire admettre que je n’avais pu résister au charme de sa «famille», qu’il n’y avait aucune malice et qu’il ne devait y voir que la maladresse d’un jeune photographe. 

Ce que je ne pus lui dire, c’était la mélancolie que j’avais vue sur ce visage, la ressemblance saisissante avec celui de ma propre mère. C’était le désordre et l’émotion que tout cela avait suscités. 
Je ne les ai jamais revues mais j’ai conservé la photo. J’ose espérer qu’elles ont toutes deux survécu aux sombres années à venir. 

Evelyne

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