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Théodule Ribot - La tireuse de cartes |
Il est dit que tout être, après sa mort, peut être réincarné. De mon vivant, j’en doutais. Mais à présent, avec étonnement, et le vérifiant moi-même pour ma propre personne, je constate que je suis devenu un chat. Un chat de couleur grise – ça tombe bien, je n’ai jamais eu un teint très coloré ! Donc un chat, un chat avec un pelage plutôt hérissé – là encore, quelle ressemblance avec les épis multiples de ma chevelure qui me posaient énormément de soucis en me levant le matin. Comme quoi, la nature est bien faite, mimétisme absolu !
Je n’ai pas encore remarqué à qui j’appartiens car les personnes autour de moi m’ont assuré de leur gentillesse en me caressant de leurs mains calleuses. Quoique, en y regardant bien, la plus vieille de ces femmes ressemble à ma grand-mère. Grand-mère humaine, cela va de soi. Alors, c’est peut-être elle ma maîtresse. Et puis, je me souviens aussi qu’elle aimait particulièrement jouer aux cartes. Lorsque nous faisions ensemble des parties, elle me disait toujours qu’il n’était pas nécessaire de rager lorsque le sort du tirage ne favorisait pas la combinaison que j’espérais. J’étais toujours tenté d’en réaliser, si possible, avec des as. D’ailleurs, aussi curieux que cela puisse paraître, et mon regard le prouve nettement, je remarque que la carte présentée est un as. Un as de carreau plus précisément. Et ça, j’en reste stupéfié – il suffit de regarder mes yeux.
Un frisson me gagne. Il faut dire qu’il ne fait pas chaud dans la masure. Ce n’est pas étonnant, l’âtre est éteint. Et pourtant, je sens au fond de moi une chaleur m’envahir, comme si mon corps reprenait vie. Un corps plus humain qu’il n’en avait l’air quelques instants auparavant. Si les poils de ma tête sont encore tout ébouriffés, ceux de mon corps ont totalement disparu. J’ai bien des mains et non plus des pattes. J’entrouvre les yeux, la blancheur des murs qui m’entourent m’éblouit. Je sens une présence vers ma droite. J’incline ma tête sur ce côté. Une personne, de dos, étale des cartes sur la table. C’est ma grand-mère qui me veille.
Alain Chaube
29 mars 2019
texte rédigé dans le cadre du stage Art et écriture organisé à Colombes en mars 2019
Très beau texte. J'ai connu un camarade nommé Alain Chaube à Zweibrucken qui aurait très bien pu écrire ce texte. D'ou ma réaction. Cordialement, Michelange.
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